Regards épistémologiques sur un siècle de linguistique

Publié le : 05 septembre 20185 mins de lecture

Si l’itinéraire de Ferdinand de Saussure, abordant la science du langage par la linguistique historique, traverse Leipzig et Berlin, c’est avant tout Paris qui aura été le pôle d’attraction des activités comparatistes de l’auteur du fameux Mémoire sur le système primitif des voyelles.

Celui-ci entre à la Société de linguistique de Paris à 19 ans. Il affine sa conception du vocalisme indo-européen dans des travaux publiés par cette société. Il enseignera pendant dix ans à l’Ecole des Hautes Etudes. Il est l’élève de Bréal, il est le maître de Meillet ; c’est Paris qui imposera sa marque au jeune Saussure et celui-ci imposera à son tour la sienne à cette ville où il formera, dans les années 1880, la génération d’une nouvelle école de grammaire comparée.
Les quelque vingt années suivantes – et dernières – de la courte vie du linguiste s’écoulent en Suisse romande. Se partageant entre son enseignement genevois et une réflexion solitaire, le comparatiste est devenu un épistémologue de sa discipline et, du même coup, le penseur de l’avenir de la linguistique. Les leçons des années 1907-1911 matérialiseront sa pensée visionnaire, et le Cours de linguistique générale – édité à Lausanne et à Paris – assurera la transmission posthume de ces leçons.
L’ouvrage de 1916 aura connu un rayonnement international. Son influence ne s’en est pas moins exercée, dès la première moitié du siècle, tout particulièrement à Paris : il a servi de référence fondatrice à des oeuvres comme celles de Benveniste, Guillaume ou Martinet. Cette influence parisienne du Cours ne s’affaiblira pas après la seconde guerre mondiale. La réflexion saussurienne continuera à inspirer les linguistes – jusqu’aujourd’hui – ; elle s ‘étendra aux études sémiotiques ou littéraires (Greimas, Barthes) et à l’anthropologie sociale (Lévi-Strauss) ; elle rencontrera chez Lacan un lecteur aigu qui en fera l’une des sources de la théorie de l’inconscient, au côté de celle, freudienne, dont l’auteur des Ecrits suscite la relecture. En retour, les penseurs parisiens inspirés par Saussure inspireront des travaux genevois.
Ainsi se joue, sous l’aile d’un Saussure quelque peu mythifié par le caractère philologiquement irrésolu d’un Opus magnum qui n’est pas le sien, une riche partie d’échanges : on peut dire que l’express Paris-Genève – que le Cours donnait en exemple de l’identité synchronique – aura, quant à l’histoire des idées linguistiques, été largement fréquenté tout au long du siècle.
Le propos de la présente rencontre est d’éclairer cette fréquentation.

L’héritage linguistique saussurien : Paris contre Genève ?

Si la première moitié du XX° siècle s’est avérée, au regard de la pensée linguistique de Saussure, une époque d’harmonie sur l’axe Paris-Genève – ponctuée par l’invitation helvétique faite à E. Benveniste de venir prononcer la conférence jubilaire « Saussure après un demi siècle » -, les deux métropoles deviennent à partir des années 60, pour une part au moins, symboles d’une dichotomie de l’héritage saussurien et, à certains égards, d’un conflit des interprétations. En Suisse, autour du Cercle Ferdinand de Saussure, se développe un courant d’études philologiques du corpus saussurien (Godel, Engler, Amacker). Sur ces études viendra parfois se greffer la tentation d’une interprétation « intégriste » : une linguistique « saussurienne » qui s’opposerait aux autres courants de la science du langage en développement. A Paris, une nouvelle alliance s’est scellée – Freud, Marx, Saussure -, générant de tout autres interprétations du Cours de linguistique générale, et ceci dans l’ignorance, souvent revendiquée, de la philologie des textes saussuriens. Mais la « renaissance » parisienne des idées de Saussure produira aussi, en renouant avec la tradition française de philosophie des sciences et en s’ouvrant à la linguistique nord-américaine, une attention épistémologique nouvelle à la pensée du linguiste genevois. La présente table ronde, réunissant protagonistes de ces événements et historiens de la linguistique, aura pour mission d’éclairer ce point de l’histoire de l’héritage saussurien.

À consulter aussi : Sémiotique des cultures et sciences cognitives

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